par Alice Franck & Claude Iverné
Khartoum est à l’image du pays dont elle est la capitale : marquée par les stigmates de durs conflits et de profondes inégalités, et agitée par les flux d’argent facile mais volatile issus du pétrole.
La période actuelle est particulière pour Khartoum. Après une décennie de transformations brutales liées à l’entrée du Soudan dans le cercle des pays producteurs de pétrole, la capitale soudanaise, à l’instar du reste du pays quoique dans une moindre mesure, est en proie à une forte récession économique depuis l’Indépendance du Soudan du Sud en 2011 et la perte de la majeure partie des revenus pétroliers [1]. Le malaise économique (inflation galopante, dévaluation…) est palpable dès lors que l’on engage la conversation avec les Khartoumois. Étrangement, il ne se traduit pas encore dans le paysage urbain, et les immeubles semblent continuer de sortir de terre à un rythme soutenu. Ce portrait de Khartoum propose donc de revenir sur la décennie 2000-2010 ; celle de la croissance économique pendant laquelle les secteurs foncier et immobilier ont constitué le débouché principal des pétrodollars. Celle également de la signature de l’accord de paix historique entre le Nord et le Sud qui a abouti à la partition du pays, laquelle va également participer à transformer la capitale en profondeur, notamment en termes démographiques.
Les mutations récentes de la capitale soudanaise constituent donc le fil rouge de ce portrait. La démarche adoptée fut de partir des photographies documentaires de Claude Iverné, photographe spécialiste du Soudan, pour développer l’analyse des transformations de Khartoum. Les photographies constituent à la fois le point de départ et la matière de la réflexion menée. Elles dessinent des « tableaux » d’espaces/de quartiers/de séquences choisis de la capitale soudanaise qui appartiennent en quelque sorte déjà au passé compte tenu des bouleversements politico-économiques actuels. En effet, l’Indépendance du Soudan du Sud affecte l’ensemble de la vie économique, sociale et politique des deux nouveaux voisins. L’agglomération du Grand Khartoum, en tant que pôle économique majeur du pays et principal espace refuge du pays des populations « sudistes » déplacées de force par la guerre [2], se trouve au centre de ces turbulences. Cet article se propose d’aborder le nouveau contexte dans ses connexions avec les reconfigurations de la ville en suivant deux axes principaux : d’une part la frénésie immobilière et sa possible remise en cause du fait de l’arrêt de la rente pétrolière, et d’interroger d’autre part la disparition des camps de déplacés et le départ/devenir des populations « sudistes » résidentes dans la capitale soudanaise.
Nouveaux projets sur les Nil ?
Difficile d’évoquer la capitale soudanaise sans parler de la confluence des Nil Blanc et Bleu qui donne à l’agglomération sa forme particulière. Khartoum, Omdurman et Khartoum Nord, sont trois villes établies de part et d’autre de la confluence, qui ont grossi jusqu’à former la conurbation du Grand Khartoum qui dépasserait aujourd’hui les 5 millions d’habitants (CBS, 2008). Des berges du Nil (du Nil Blanc plus précisément), la photo prise non loin de la confluence montre l’absence d’aménagement et ne dit presque rien – si ce n’est au troisième plan où l’on devine quelques immeubles en construction – des transformations en cours de ces espaces en centre-ville. L’immense majorité des berges des Nil de l’agglomération du Grand Khartoum sont encore préservées de l’urbanisation et accueillent la plupart du temps des cultures. Elles constituent un espace public tantôt prisé de l’ensemble des Khartoumois– lorsque l’espace est ouvert, au vu de tous et non loin d’une voie de communication – tantôt jugé malfamé – dès lors que l’on peut s’y cacher, et dont la réputation rejaillit sur les populations qui les fréquentent. On vient y boire le thé, y pique-niquer, y laver ses vêtements mais surtout sa voiture, son camion ou sa charrette, voire s’y baigner les vendredis quand la chaleur le permet.
La rente pétrolière qui débute en 1999 avec la mise en service du terminal pétrolier de Port Soudan et durera jusqu’à la sécession du Soudan du Sud impulse un nouveau dynamisme dans la capitale soudanaise. Avec les nouveaux moyens financiers, le caractère inondable des terres de berges des Nil ne paraît plus être un obstacle à la construction et ne protège plus les zones de cultures de la frénésie immobilière. Ces terres non bâties au centre de la conurbation sont particulièrement attractives au regard des investisseurs et des aménageurs urbains. C’est là que se dessinent de gigantesques projets urbains « clefs en main » qui ont en commun d’appartenir à cet urbanisme de prestige que l’on voit se diffuser notamment dans le monde arabe (Barthel, 2010) et où les corniches, les marinas, les zoos et les golfs semblent constituer les symboles d’un standing et d’une modernité recherchés. Ces projets se distinguent également par leur utilisation d’un marketing singulier principalement tourné vers l’Internet et particulièrement friand d’images virtuelles simplistes et figées qui contrastent fortement, dans le cas soudanais, avec la réalité des réalisations. Si de nombreux immeubles sortent de terre, Khartoum est encore loin d’accueillir en son centre les deux marinas, les trois corniches, et les deux zoos virtuellement promis (Choplin, Franck ; 2010 ; Crombé, 2009).
Voir Dubaï à Khartoum
La Tour Al Fatih, parfois appelée Hôtel Kadhafi, est un investissement libyen. Elle accueille aujourd’hui l’hôtel le plus chic de Khartoum.
Dans la décennie 2000-2010, les tours sont pourtant apparues à Khartoum, des tours au profil architectural résolument « moderne ». La tour al Fatih, qui abrite un hôtel de luxe, construite par les Libyens sur le Nil Bleu, est l’illustration la plus parlante de cette diffusion des modèles urbains et architecturaux en provenance des pays du Golfe. La tour, inaugurée en 2007, fait indéniablement penser à la Burj al Arab de Dubaï. Elle est devenue en quelques années un puissant symbole de la transformation de la capitale et de sa « modernité ». On la retrouve sur de très nombreux dépliants et affiches publicitaires vantant d’une manière ou d’une autre le dynamisme du développement soudanais.
Le centre-ville en chantier
La mosquée du souk El Arabi et la Rue de la République (Share Djamoriya) sont des symboles du centre-ville colonial de la ville de Khartoum.
Le centre-ville – souk el Arabi – a été particulièrement visé par les travaux de requalification urbaine de la décennie « pétrolière ». La gare routière centrale de Khartoum autrefois située au pied de la grande mosquée (cf. photo N°3) a été, pour des raisons de congestion et de spéculation foncière, délocalisée plus au Sud sur les terrains de friches de la compagnie du chemin de fer, emmenant avec elle la majeure partie de l’ébullition quotidienne liée aux allers venues des travailleurs, et aux activités des vendeurs de rue. Derrière la grande mosquée trône aujourd’hui le dernier né des centres commerciaux de luxe de la capitale. L’immeuble accueille sur trois niveaux les badauds curieux notamment d’essayer les escalators. Les prix pratiqués, inabordables pour l’immense majorité des citadins, limitent la fréquentation du mall. L’immense parking est pour l’heure quasiment toujours vide, les travailleurs des bureaux, qui occupent les étages supérieurs du complexe, ne suffisant apparemment pas à le remplir.
Les maisons sans étage étaient autrefois la norme à Khartoum comme dans le quartier « imtidad Nasser » (extension Nasser), mais Khartoum prend de la hauteur depuis les années 2000, en témoignent les nombreux paysages de chantiers.
La rue de la République (Sharia Jamoriya), artère majeure du centre-ville, appartient à la ville coloniale créée au début du condominium anglo-égyptien (1899-1956). Actuellement, les rares vestiges de cette période disparaissent sous les chantiers de construction d’immeubles d’une dizaine d’étages. L’atmosphère particulière de la photo (Photo sharia Jamoriya N°4) illustre le calme qui règne sur la ville tous les vendredis à l’heure de la prière de 13h, et contraste avec la frénésie qui s’empare les autres jours des automobilistes, chauffeurs de bus, conducteurs de rakcha [3] etc. depuis que leur nombre a explosé. L’accélération des constructions dans le domaine des infrastructures de transport permet de rendre compte du dynamisme qui s’est emparé de la ville ces dernières années : 4 nouveaux ponts sur la confluence sont réalisés entre 2005 et 2009, un 5ème est en voie d’achèvement, la route de l’aéroport est passée en moins de 5 ans d’une deux voies jonchée de nids de poules à une 2X4voies flambant neuve, et des centaines de kilomètres de voies ont été asphaltés et gagnent aujourd’hui les périphéries les plus lointaines de la capitale.
Les routes goudronnées ne sont pas les seuls réseaux à atteindre aujourd’hui les périphéries urbaines de la capitale soudanaise. Les réseaux d’eau et d’électricité ont également largement progressé durant la dernière décennie, y compris dans certains quartiers précaires, voire stigmatisés, comme les anciens camps de déplacés. Les efforts incontestables d’équipement qui ont été réalisés contrastent fortement avec l’absence ou la faiblesse des aménagements urbains qui avaient prévalu à Khartoum depuis l’Indépendance et plus particulièrement depuis la crise des années 1980. Cependant, les raccordements aux réseaux s’opèrent dans un contexte de libéralisation économique (privatisation des principales entreprises publiques de service, développement du recours à la sous-traitance…) qui témoignent de l’adoption par le régime islamiste dès le milieu des années 1990 de la politique néolibérale prônée par le FMI dans le cadre de plan d’ajustement structurel (sur la libéralisation du service de l’eau voir Beckedorf, 2012). La question aujourd’hui n’est plus celle de l’absence d’offre de services mais de son coût excluant une large part des citadins [4], rendant les inégalités toujours plus criantes : « Il n’est plus question de pauvreté dans un contexte de pénurie mais d’appauvrissement dans un contexte d’abondance relative. L’exclusion devient donc plus flagrante. (…) Pour ceux qui sont réduits à la marche sous une chaleur accablante ou qui ont renoncé à fréquenter la ville faute de pouvoir accéder aux transports urbains – la question n’est plus que les pompes à essence soient vides mais que le service est inaccessible à une large frange des citadins » (DENIS, 2005, p. 97).
Quand la frénésie immobilière gagne les périphéries
Khartoum a pris de la hauteur, et les nouvelles constructions sont sorties de terre à une vitesse prodigieuse. Les investissements dans le foncier sont de longue date les plus sûrs au regard de la situation politique et économique soudanaise. La rente pétrolière a massivement participé de ce mouvement, la crise économique actuelle (inflation et dévaluation de la monnaie) semble renforcer encore un peu plus la capitalisation dans le foncier. Seule l’ampleur des réalisations semble être affectée par la nouvelle donne économique. Et si Khartoum reste un vaste chantier, les hommes d’affaire étrangers se montrent probablement plus réservés à investir dans la capitale soudanaise que dans la décennie précédente. Reste que les tours et immeubles tout d’abord réservés au centre-ville ont gagné les quartiers adjacents, puis les plus éloignés. Chose plus remarquable encore, ils ne sont plus l’apanage des bureaux et des hôtels de luxe, mais abritent des appartements remettant en question la traditionnelle hosh soudanaise, habitat de cour, en partie responsable de l’étalement considérable de la ville et auquel on pensait l’attachement soudanais indéfectible.
La tendance est à l’apparition de nouvelles formes architecturales et urbaines qui rompent avec l’homogénéité apparente des quartiers populaires « classiques », et tentent d’approcher une certaine performativité internationale. Avec les tours et les immeubles, les compounds résidentiels de luxe constituent un autre exemple des nouveaux désirs urbains en marche dans l’agglomération du Grand Khartoum. Ces lotissements fermés ont débarqué en périphérie de la ville notamment « grâce » à l’amélioration du réseau viaire. Ils illustrent un réel renversement des normes au sens où les relégations en périphérie des populations jugées non désirables constituent une constante de l’urbanisation du Grand Khartoum depuis la période coloniale. Aujourd’hui, les lotissements fermés de luxe côtoient presque sans transition des quartiers parmi les plus précaires de la capitale, donnant corps à l’accroissement vertigineux des inégalités dans la ville et dans le pays.
L’enrichissement de la capitale dans la période précédant la séparation du Soudan du Sud renforce en effet le caractère fragmenté de la ville à toutes les échelles, et en diversifie les formes. Le modèle centre/périphérie dans lequel la distance au centre de Khartoum déterminait presque sans exception les dates d’arrivée en ville, les catégories de populations concernées et la valeur du foncier se complexifie. Le fossé qui oppose la ville bâtie sur un foncier surévaluée à destination des populations les plus aisées, et la ville produite par allocation à moindre coût de plots pour les segments les plus défavorisés de la population se creuse socialement tout en se rapprochant spatialement.
La fin des camps de déplacés
Le camp de Wad el Beshir constituait l’un des quatre camps de populations déplacées de la capitale soudanaise.
Parmi les successives et nombreuses opérations de relégation de populations en périphérie urbaine, la mise en place en 1991 de 4 camps officiels de déplacés (Mayo, Es Salam, Djebel Aulia, et Wad el Beshir), destinés à l’origine à « accueillir » temporairement les déplacés du Sud, incarne l’accentuation du caractère discriminatoire des politiques urbaines menées dans le Grand Khartoum. L’ensemble des populations migrantes qui arrivent en masse à compter des années 1980 (notamment de l’ouest du pays en raison d’épisodes de sécheresse et famine qui culminent en 1984-1985), et des années 1990 (en raison de la reprise du conflit armé avec le Sud du pays) sont « installées » en périphérie de la ville. Une différenciation a cependant été opérée entre des populations destinées à priori à s’intégrer plus facilement dans la « fabrique urbaine » [5], plus largement orientées vers les Dar Es Salam [6] ou les quartiers planifiés de réinstallation – c’est notamment le cas des déplacés environnementaux de l’ouest [7] – , et des populations, jugées moins assimilables – les déplacés du Sud – que les autorités vont plus volontiers « orienter » dans des camps pensés au départ comme temporaires (Lavergne, 1997 ; De Geoffroy, 2009 ; Bennaga, 1996). Cette politique s’articule avec le glissement de sens de la catégorie des « déplacés » (naziheen en arabe) qui désigne à Khartoum les populations sudistes (janubeen), et non les populations déplacées par la force dans leur ensemble. Quoique largement contrariée dans le temps par l’ampleur des déplacements forcés en provenance du Sud, la politique urbaine de cette période va se traduire par une plus forte concentration de populations sudistes dans les 4 camps officiels que comptent la capitale, et parallèlement une plus forte concentration des populations originaires de l’ouest du pays dans les Dar es Salam, les quartiers planifiés et les zones de relocalisation. La différence est avant tout foncière puisque jusqu’à ce que les camps fassent l’objet d’aménagement (depuis 2003 environ), l’installation considérée comme temporaire rendait impossible la régularisation sur place, le dépassement de l’assignation à être « déplacé », et l’accession à la propriété.
La planification des camps, et donc leur disparition – ou plutôt leur dissolution dans la ville formelle – s’inscrit dans une double dynamique. Avec le développement, la croissance spatiale de Khartoum, et l’amélioration du réseau viaire, certains camps, comme Mayo et Wad el Beshir, sont apparus plus proches du centre-ville qu’ils ne l’étaient auparavant, et donc comme des espaces potentiellement plus valorisés ou valorisables sur le marché foncier. La planification des camps s’articule par ailleurs avec l’obsession majeure des autorités urbaines du Grand Khartoum pour la conservation de la maîtrise foncière et la lutte contre les squatters (de Geoffroy, 2009). C’est par ailleurs sur fond d’avancée des pourparlers de paix (dès 2002), et d’incertitude du sort des milliers de Sud-Soudanais résidant à Khartoum, que les déguerpissements vont de nouveau connaître une recrudescence dans la capitale soudanaise, touchant les plus vulnérables. Les méthodes employées sont souvent brutales, les résistances rares et souvent vaines. L’enjeu pour les habitants des zones concernées par la planification est d’être régularisé sur place, plutôt qu’une nouvelle fois déplacé dans une zone plus périphérique non encore viabilisée. Pouvoir accéder à une parcelle sur place ne signifie pas conserver son habitation en l’état. La photo de Wad el Beshir en témoigne. Elle a été prise en 2004, plusieurs mois après l’opération « bulldozer » qui lançait la régularisation du camp. Les habitants en attente de parcelles sur place ont reconstruit comme ils le pouvaient des abris en toile de jute.
Khartoum sans sudiste ?
Ces maisons en briques crues et torchis du quartier de Mandela témoignent de la précarité des quartiers périphériques de la capitale mais également de l’investissement des habitants dans la revendication identitaire (ici tribu Nouba Miri face aux standards de la culture arabe) et animiste, en opposition au prosélytisme religieux en régions Nouba.
La précarité n’est pas que dans le temporaire à Khartoum comme en témoignent ces deux photographies de maisons « solidifiées » prises dans le quartier de Mayo (Mandela étant un sous-quartier de Mayo). Les matériaux de construction ainsi que la taille de la parcelle déterminent le standing et la classe à laquelle les quartiers appartiennent. Les deux maisons sont ici en briques crues et torchis, quand les habitations à peine plus privilégiées sont en briques cuites. Elles illustrent la diffusion du modèle architectural octogonal du Nord Soudan à l’ensemble des quartiers de l’agglomération de Khartoum, où il est désormais extrêmement rare de voir des habitations rondes pourtant très largement répandues dès lors que l’on quitte la vallée du Nil. L’hétérogénéité des constructions vient de certains détails décoratifs, souvent en lien avec l’origine et les croyances des habitants, comme les cornes de cette « maison vache », ou les croix chrétiennes peintes [8] sur la seconde. Ainsi, ces deux maisons donnent en un sens à voir le caractère cosmopolite de la capitale soudanaise et la mixité réelle des quartiers populaires (Abusharaf, 2009).
La sécession du Soudan du Sud (9 juillet 2011) repose avec acuité la question de la place et du statut des populations originaires du Sud dans l’agglomération du Grand Khartoum. Les problématiques de négociation d’une place en ville, et d’accès au foncier des populations déplacées en provenance du Sud du Soudan, qui a constitué à la fois une préoccupation centrale des populations concernées, des politiques et des études urbaines portant sur la capitale soudanaise depuis le milieu des années 1980, se trouvent aujourd’hui bouleversées par le nouveau contexte national. L’enjeu est de taille à l’échelle de la capitale puisqu’en 2005, sur un peu plus de 5 millions d’habitants, les déplacés représentaient environ 2 millions de personnes parmi lesquelles les populations originaires du Sud comptaient pour 800 000 personnes au minimum (De Geoffroy, 2009 :193).
Dans les années qui ont précédé et les mois qui ont suivi l’indépendance du Soudan du Sud, des ballots empaquetés, attendant la mise en œuvre du plan de retour [9], ont jonché les rues et places du Grand Khartoum, attestant du départ des populations d’origine Sud-Soudanaises dans le nouvel État. Des chiffres circulent estimant le nombre de retours de « Sudistes ». Ainsi, pour l’ensemble du Nord Soudan et non pas seulement pour Khartoum, le chiffre de 1,2 millions de retours entre 2005 et 2009 est diffusé (IOM, 2009). Mais ces estimations ne disent rien de l’impact socio-économique et identitaire de ces départs à l’échelle de la ville, d’un quartier, d’une rue… Ils ne disent rien non plus des stratégies d’entre-deux choisies par certaines populations Sud-Soudanaises depuis l’accentuation des troubles armés dans le Sud et la reprise du conflit, fût-il encore larvé, entre les deux Etats. Rien des nouvelles arrivées de déplacés en provenance des Monts Nouba, région une nouvelle fois au centre des affrontements Nord-Sud. Khartoum, ville refuge depuis les années 1980, semble ne pas avoir fini d’offrir des pistes de recherche, et des questionnements sur les migrations forcées.
Conclusion
Le portrait de Khartoum que dépeint cet article met en lumière les contrastes grandissants d’une capitale soudanaise à la fois aux prises avec des projets de développement immobiliers pharaoniques, et avec les difficultés d’une ville du « Sud » à répondre aux demandes de logement et de services d’une population croissante notamment sous l’impact de déplacements forcés. L’apparition de la manne pétrolière en 1999, loin de rééquilibrer la donne à l’échelle nationale, n’a abouti qu’à conforter la place hégémonique de la capitale comme pôle économique du pays, et à renforcer encore un peu plus l’attractivité de la conurbation qui connaît des transformations sans précédent. La reconfiguration du centre-ville la verticalisation des constructions, la multiplication des routes asphaltées et des chantiers en sont l’expression la plus visible. Cet article témoigne de la manière dont les inégalités se sont également renforcées à l’échelle de la ville en dépit d’un effort certain en termes d’équipement urbain.
L’Indépendance du Soudan du Sud qui secoue violemment l’ensemble de la société nord soudanaise, a notamment des répercutions sur la capitale, sur sa morphologie comme sur sa composition démographique par exemples. Ce sont les connexions entre cet événement d’échelle nationale et internationale et la ville de Khartoum que nous avons voulu illustrer.
Article publié le 29 décembre 2014 sur le site La vie & les idées
http://www.laviedesidees.fr/Khartoum-capitale-en-mutation.html